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  • Fabienne Zufferey-Corbaz

Les septuagénaires

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Je ne l’ai pas vue arriver celle-là… la septantaine!

Elle était loin, très loin, inatteignable, sauf pour les autres.

Les autres c’est normal qu’ils soient vieux, d’ailleurs ils l’ont toujours été, comme si c’était toujours les mêmes :

les grands-parents, les retraités, ceux qui portent des chapeaux en plein soleil, ceux qui marchent lentement et conduisent encore plus lentement, ceux qui évitent les courants d’air et s’enrhument plus facilement.


Bizarrement, les décennies sont comme des étrangères qui viendraient troubler une éternelle jeunesse.

La vingtaine fait exception parce qu’on la juge prometteuse. Elle fertilise le sol, tout ce qui pousse est neuf, tout grandira.

On en reparlera!


L’équipe des septuagénaires s’est jointe à mes années.

Je les connais bien mes amis, je suis des leurs.

On se l’est dit au creux de l’oreille : « septante c’est pas facile à entendre, soixante-dix c’est mieux ». On peut compter comme on veut, mais ne pas compter du tout, c’est encore mieux.


Et c’est là que tout change!


Que s’est-il véritablement passé ce jour J?


Le jour J, c’est peut-être une fête, un voyage, une date, une habitude de ponctuer les évènements, quelque chose qui se joue dans la joie…ou pas!

Vous savez maintenant, chers septuagénaires, que rien n’est garant du bonheur, mais que quelques minutes de votre vie peuvent le contenir tout entier. Nous savons que les grands rendez-vous ne se trouvent pas dans l’agenda, que le succès n’est pas déterminé par votre patron, que la beauté n’est pas une valeur absolue et que la magie continue d’exister après l’âge de cinq ans, si on veut bien la laisser vivre.

Souvenez-vous de toutes les opportunités, les coïncidences, les hasards, les surprises, les rencontres inattendues, les peurs inutiles, les revirements de situations, les fins heureuses, les intuitions, la main de votre ange gardien toujours présente au bon moment.

Quelqu’un ou quelque chose aurait-il le pouvoir et la prétention d’arrêter ce tourbillon de vie, continuellement placé sous le signe du changement?


C’était mieux avant?


Les yeux grands ouverts et les bras tendus vers l’avenir, j’ai saisi mon histoire.

J’étais sur ce terrain fertile où tout ce qui pousse est neuf.

Mes bonnes chaussures si peu formées foulaient le sol d’un pas encore hésitant ou trop fonceur.

Je me souviens de mes premières armes en milieu hospitalier où j’ai mimé l’assurance.

La peur au ventre, je renvoyais un sourire sécurisant à celui ou celle qui cherchait la confiance.


J’apprenais en novice ce qu’allait devenir de l’expérience.


Il en a été de même pour tous les sujets et croyez-moi, je n’ai pas envie d’y retourner.

De l’hésitation je me suis renforcée, de la certitude je me suis nuancée.

Je voyais la route en ligne droite, sans carrefour probable.

Quand ils se sont présentés sans ménagement, j’ai dû mettre un sacré coup de frein à mon élan ou plus justement, à ma routine. La jeunesse ne détient pas tous les secrets.

J’ai adoré mes péripéties, surtout a posteriori. La distance a apaisé les plus redoutables, coloré les plus cocasses et enrichi les plus belles. Toutes se laissent manipuler au gré de mes envies.


La mémoire n’est jamais qu’une perpétuelle reconstruction. On façonne les souvenirs qui deviendront des alliés ou des fantômes.

Auparavant, j’ai embrassé des rôles. Je les ai choisis et aimés pour beaucoup, assumés pour certains, tous pour un temps donné.

Aujourd’hui je joue le mien, comme si les cases s’étaient effacées.

Je pourrais glisser dans le rôle de la personne âgée sauf qu’être « en représentation » est une atteinte à ma liberté.


Je ne suis plus « dans le circuit » comme on l’appelle, parce qu’à la retraite le cercle s’ouvre sur ce que je ressens comme de l’espace.

À l’heure juste, il y a des étapes qu’on doit quitter et gare à celui qui s’y attarde!

Le changement n’attend pas, il a sa raison d’être.


Je ne crois pas au bel « avant » et au pénible « après ».

La souffrance et la joie sillonnent les parcours de vie, quel que soit l’âge.

Plus tard, on change de baromètre. On abandonne le conventionnel, celui des grandes trajectoires, et on s’approprie le sien, celui de nos envies profondes, de nos capacités aussi, indépendamment des normes de saison.


Chers amis septuagénaires, restons attentifs, curieux, intéressés, amusés et voyons nos rides se multiplier avec humour, dans la mesure du possible!


Avec gratitude


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