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Fabienne Zufferey-Corbaz

L'Indivisible

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Un instant de rien, là où les pensées déambulent dans une totale liberté, j’ai souhaité connaître un jour, un Noël différent.

Il est pourtant une Fête que j’aime et que j’attends avec réjouissance. Ses lumières scintillantes, son parfum de bonne cuisine, ses cadeaux qui attendent impatiemment que leurs rubans se délacent, toute cette magie enrobe cette réunion de famille qui témoigne de ma chance d’en avoir une aussi belle!


C’est de la richesse, de la joie, de la reconnaissance!


Un jour peut-être, je serai capable de passer le réveillon de Noël seule, en présence d’une bougie dont la sobriété me comblera. Voilà ce que me rapportaient mes pensées vagabondes.


J’en éprouverai de la richesse, de la joie, de la reconnaissance!


Un matin de Noël, je me suis rendue sur mon lieu de travail qu’était l’hôpital.

À l’intérieur, les murs avaient placé un voile sur l’évènement. Ici, les soucis l’emportent sur les rêveries et les promesses du 24 décembre.

Alors, on ne s’y attarde pas…on fait comme si...afin que les cœurs soient moins douloureux.


La chambre 602 était occupée depuis trop longtemps par une dame qui à nos yeux de soignants aurait dû s’en aller dès son arrivée. Son attention n’était plus parmi nous, sa maladie avait déclaré avec certitude, la fin de sa vie. Et pourtant, « elle ne partait pas », disions-nous, telle une voyageuse bloquée entre deux frontières.


Attentifs à chaque hypothèse, à l’écoute de son corps immobile, nous calmions une éventuelle anxiété qui aurait pu retarder son droit de passage. Une retenue du passé? L’inquiétude d’un futur sans nom? Les soignants dosaient minutieusement le médicament protecteur. Mais…de l’ascension d’un dosage qui devenait important, nous sommes revenus à ce qu’on appelle une « couverture de confort ».

Après tout, son heure était la sienne, pas la nôtre.

La dame du 602, dont la présence était extrêmement faible, ne partait pas.

Elle avait un nom bien sûr, que j’ai rapidement oublié.

Lorsque je l’ai rencontrée, elle l’avait peut-être déjà laissé derrière elle.


Au midi de ce 24 décembre, plutôt que de rentrer chez moi, je me suis invitée dans son espace transitoire. J’ai délicatement glissé sous sa tête mes deux mains ouvertes, en demeurant entièrement avec elle.

J’allais simplement à sa rencontre, à notre rencontre, si cela était encore possible.

Je me souviens de ce moment où je n’attendais rien, mais où j’avais conscience de rejoindre une dame dont j’ignorais tout de sa vie.


Dans le silence de sa chambre qui depuis plusieurs jours ne vivait qu’à demi, j’ai vu couler de ses yeux deux larmes qui se sont éteintes dans le creux de son cou. Rien d’autre n’a bougé, ni d’elle ni de moi. Nos présences s’étaient croisées dans une humanité dont je n’oublierai jamais l’intensité.

L’apaisement était passé par là.


Je suis rentrée chez moi, imprégnée de cette âme partante, qui mieux que sa voix n’aurait su le dire, avait laissé aller quelque chose…

Sans le savoir, elle avait ouvert le flux de notre Essence commune qui sait déposer les fardeaux.


À mon retour dans l’après-midi, la dame qui ne partait pas, avait poursuivi son voyage.

Il arrive que le mot décès ou mort, laisse un sentiment de sérénité.


J’ai passé le soir du réveillon en présence d’une bougie dont l’éclat n’avait rien à envier aux plus beaux des sapins.


De la richesse, de la joie, de la reconnaissance!


À aucun instant, je ne me suis sentie seule. Je faisais partie de l’Indivisible que l’étoile du 602 m’avait rappelé.


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