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Lentement, presque à mon insu, mon attention se déplace.
Elle retourne à sa place, tel un glissement vers la source des choses, cette grandiose simplicité qui respire.
Je suis née en ville, j’ai grandi dans un quartier arborisé, sans plus.
J’ai grimpé aux arbres interdits, joué dans les parcs aménagés, sans plus.
Le sable se contenait dans un bac et gare à celui qui en dépassait le cadre.
Les balançoires étaient joliment peintes en rouge. À l’usure, une écharde plantée dans mon doigt tendre me rappelait sa structure boisée.
Je devais prendre soin d’une nature arrangée. D’ailleurs, je ne l’ai pas reconnue en tant que nature vivante. Elle s’apparentait à un ornement agréable. Les choses autour de moi étaient organisées avec goût.
Seules mes vacances à la campagne m’ont offert la liberté d’adhérer aux éléments,
d’en sentir pleinement la proximité, l’énergie et la saveur.
Elles se souviennent de moi. Elles se manifestent dans le chant régulier des fontaines, l’apaisement des cliquetis des ruisseaux, dans le parfum de la terre qui travaille.
Puis, elles m’ont laissé vivre ma vie autrement…
Il y a deux ans, je n’avais pas remarqué cet arbre imposant devant mon nouveau logis.
La montagne avait profité de l’absence de son feuillage pour s’attirer mon regard tout entier.
Aujourd’hui, je le contemple chaque jour. Je le consulte et recueille ses enseignements.
Mais d’abord… je lui rappelle qu’il est beau. Il faut bien que quelqu’un lui parle de l’harmonie de ses formes, de la danse de ses branches, du bruissement de ses feuilles,
de ses couleurs qui tentent le pinceau du peintre.
L’arbre ne s’inquiète pas de son image ni de ce qu’il produit. Il élabore, coordonne puis édifie. Il compose avec le tout, s’adapte sans crainte à la difficulté parce qu’il a reçu l’adaptation. Sa flexibilité ne l’emprunte pas, son pied solide lui permet cette souplesse.
Cette vie enracinée accueille des êtres différents de lui, il les abrite, les nourrit même.
Fidèle à lui-même, il connaît sa voie mieux que personne et suit sa vérité.
Ses nombreuses années d’existence témoignent d’un plan parfait.
Rien ne lui manque, il puise dans le sol et distribue à son ensemble. Il reçoit d’en haut la substance propre à son épanouissement, l’assimile naturellement puisqu’il est conçu pour en être le réceptacle. Il transforme au nom du souffle de la vie.
Je sens qu’il est beaucoup plus grand que ses contours.
Son énergie déborde de sa sphère et pénètre la mienne.
Cet arbre est un ami parce que je me sens bien en sa présence. Nous avons le privilège de partager un même territoire, une même terre. Sans paroles, il se révèle avec clarté.
De sa nature assurée, je découvre mes questions. J’aime ses réponses.
Sa vérité me renvoie à celle des Hommes. La leur s’est quelque peu perdue. Elle reviendra, parce qu’au fond d’eux, ils s’en souviennent.
Lentement, presque à mon insu, mon attention retrouve sa place.
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