Aujourd’hui par ma fenêtre, jour d’hiver pour moi; jour divers pour mon voisin.
La journée a été froide. Le soleil timide.
Comme chaque soir, je vois sa voiture grise devant leur maison orange. La journée est finie.
La voiture stationnée de travers sur un monticule de neige, j’observe la famille y descendre: un père et deux enfants.
Un hiver bien entamé, des habits de neige usés et mouillés, le pas maladroit pour les deux petits garçons qui finissent leur journée de garderie. Souvent je les regarde en me disant qu’ils sont bien courageux ces p’tits bonhommes, dans leur routine de journée et leur cirque vestimentaire qui dure depuis le mois d’octobre: tuque, mitaines, cache-cou et j’en passe.
La routine de mon voisin semble se calquer à la mienne.
En général, nos journées débutent au même moment. Cigarette pour Monsieur, café pour moi.
200 mètres nous séparent. Nous n’avons jamais échangé aucun mot et pourtant il ne m’est pas étranger.
Ses départs matinaux et précipités, son bol d’air sur le pas de la porte, son sac SAQ du vendredi soir, ses fenêtres fermées/ouvertes, sa femme au téléphone, les gens qui sonnent à sa porte.
Un tour de tête de 90 degrés depuis mon bureau et mon regard se porte sur sa maison.
Je le vois, mais ne le regarde pas vraiment.
Parfois la synchronocité de nos routines me fait sourire.
Ce soir, donc, derrière deux enfants encore bien remplis d’énergie, je le vois descendre de son auto.
De plein fouet, la compassion s’empare de moi.
J’ai vu l’incarnation de la fatigue humaine.
Une saison rude qui ne s’achève pas.
Une mauvaise journée de travail.
Un père de famille qui prendrait bien quelques vacances.
Un couple qui mériterait de se retrouver.
(La liste doit être longue).
Je l’observe dans sa volonté de bien faire.
Un sourire forcé peut être, mais sa journée n’est pas finie.
2 enfants à nourrir, laver, occuper, coucher.
Témoin de ce tableau familial, je ne peux m’empêcher de l’admirer.
En fait, d’admirer tous les parents qui traversent leur vie entrelacée à la vie de leur(s) enfant(s).
Des parents qui se définissent au travers de leur progéniture mais qui surtout se redéfinissent au travers de leur progéniture.
Cette magie que les enfants nous offrent sans s’en apercevoir.
J’ai soudainement vu en son regard, l’homme qu’il avait été et celui qu’il est aujourd’hui.
Un mélange troublant et touchant.
D’où vient cette force et cette volonté qui semble inébranlable face à nos enfants?
Ce devoir, cette omi-présence qui parfois nous rend invisible, mais à la fois invincible.
Ce dévouement subtil ou radical qui nous oblige à définir nos envies, nos limites et mêmes nos rêves.
Je suis persuadée que mon voisin n’a pas conscience de ce qu’il dégageait en cette fin de journée.
Et je suis persuadée que si on lui laissait le choix, sincère, il ne changerait rien de sa vie.
Heureusement, le printemps arrive. Heureusement, les pantalons de neige iront bientôt aux oubliettes.
Aujourd’hui par ma fenêtre jour divers pour moi; jour d’hiver pour mon voisin.
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