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Fabienne Zufferey-Corbaz

Marie-Cécile

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Cet après-midi-là, j’aurais voulu retenir ses paroles qui déjà s’envolaient.

Heureusement, mon cœur en a pris quelques notes.


Elle s’appelle Marie-Cécile, une petite dame à la démarche hésitante qui aime que ses ongles soient peints et sa bouche colorée. Elle vit depuis de nombreuses années dans un foyer accueillant des personnes différentes, peut-être plus fragiles, plus sensibles, plus bousculées par la vie, mais dont l’intelligence vive ne leur a pas permis l’aveuglement.

Vue de l’extérieur, la maladie psychiatrique est un statut, de l’intérieur elle est une incertitude.


Une maison modeste, des chambres simples et sans style, le nécessaire qui n’accueille pas la fantaisie. Porte d’entrée close, l’ouverture se demande et c’est un sourire qui répond.


J’entends l’exclamation de joie de Marie-Cécile, ma belle-sœur qui a reconnu ma voix.

Je suis véritablement accueillie dans cette honnête maison au grand cœur.

Dans le salon commun, je salue des yeux clos, des regards perdus ou curieux.

Autour d’eux, je repère l’attention des soignantes toujours disponibles, malgré un travail de persévérance et de patience. Elles sont la référence, la sécurité !


Nous sommes ensemble, elle et moi, autour d’une petite table ronde et naturellement vide. Pour commencer, je l’écoute…

La phase aiguë de la maladie est maintenant apaisée. Trois semaines, peut-être quatre, ont rendu son quotidien difficile. Elle se connaît Marie-Cécile, elle parle de sa maladie comme d’un hôte qui jamais n’a pu la quitter.


«Je continue d’apprendre par amour pour les miens» me dit-elle.

Je lui demande de répéter, je veux réentendre!

Son expression verbale est très lente, elle use de volonté pour articuler.

La lourde médication de cinquante années a son poids.

Son amour, lui, est resté intact. Elle continue d’apprendre pour sa fille, son beau-fils et ses deux petites-filles.

A ses yeux, offrir le meilleur d’elle-même est une garantie de rester en lien avec les siens.

Sa mémoire n’est certes plus en mesure de graver de nouvelles données, mais elle sait toujours donner ce qu’elle a.


Sa récente voisine de chambre ne parle pas, jamais. Sauf qu’un soir, elle a prononcé le prénom de Marie-Cécile. Elle m’en parle comme d’un évènement, parce que c’est important. Est-ce un signe de reconnaissance, d’accueil ou simplement d’acceptation?

On ne sait pas… mais c’est important!


Toutes deux bavardons sans prétention, alors que les cris d’une résidente se mêlent à nos conversations. Elle me dit de ne pas faire de cas. Je m’ajuste à sa tolérance, celle qu’elle a exercée au fil des ans en saisissant mieux que personne la souffrance d’autrui.

Ici on s’accepte comme on est, la normalité n’existe pas.

La «normose» c’est une maladie de société.


«Oh! je suis bien ici, j’ai beaucoup de chance, poursuit-elle, je suis reconnaissante».

Elle trouve dans son environnement réduit et protégé ce dont elle a besoin, la guidance de ceux qui la comprennent.

Le soir, elle prie, elle remercie, elle me l’a dit.


Mon admiration est immense face à cette dame qui m’offre une leçon de vie, rien de moins. Lorsqu’elle souligne que ma présence est un bonheur, je suis gênée. Sa simplicité est tellement grande qu’elle sait utiliser la grandeur des mots sans en être troublée.


Plus tard, on m’ouvre la porte et je franchis à nouveau le seuil de la différence. Pourtant, de chaque côté, il y a des hommes et des femmes qui aiment, qui souffrent, et qui font de leur mieux.


Un autre jour je reviendrai. La notion du temps échappe à Marie-Cécile, tandis que je me réjouis de la retrouver telle qu’elle est.


Nous avons eu le même Gérard dans nos vies. Pour elle, un frère, pour moi un mari.

J’ai le sentiment que de là où il est, il nous offre ce liant de la vie qui nous unit tous les trois.


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